Entretien avec Jean-Christophe Bout, directeur de la Fédération de Dordogne pour la Pêche et la Protection du Milieu Aquatique (FDAAPPMA 24).
Entretien avec Jean-Christophe Bout, directeur de la Fédération de Dordogne pour la Pêche et la Protection du Milieu Aquatique (FDAAPPMA 24).
La FDAAPPMA 24 appuie depuis 1992 les populations sauvages de Truite commune par des soutiens d’effectifs au moyen de production de juvéniles en pisciculture. Pour cela, une cinquantaine de géniteurs sauvages sont prélevés dans différents cours d’eau d’un même bassin versant et une reproduction assistée est réalisée en pisciculture. Les géniteurs sauvages sont ensuite restitués dans leur milieu d’origine. Puis, la descendance d’une deuxième génération, soit plus d’un million d’individus, est utilisée pour repeupler les cours d’eaux.
- Qu’est-ce qui vous a incité à réaliser cette initiative ?
Au fil des années, nous avons constaté un déficit de populations de truite dans les cours d’eau, cette observation nous a alerté. Les recherches de causes de cette disparition ont indiqué un dysfonctionnement au niveau de la reproduction. En effet, nous avons pu remarquer une forte disparition des zones de reproduction de l’espèce en raison de colmatage et de pollution des cours d’eau. Cela entraîne un mauvais recrutement de juvéniles et se traduit par une baisse générale des effectifs de populations de truite.
- Quelles sont les conditions de réussite d’une telle opération ?
Ce type d’action est efficace lorsqu’il existe un problème au niveau de la reproduction de l’espèce mais que les habitats devenant des frayères ne sont pas encore trop dégradés. Avant toute intervention, il faut donc expertiser finement le milieu. Pour cela, l’observation d’espèces telles que des vairons, des loches, des chabots ou encore des invertébrés aquatiques peuvent apporter d’importantes informations sur le milieu. En effet, ce sont des espèces bio-indicatrices en termes d’habitat et de qualité de milieu. Bien souvent, ces observations d’espèces bio-indicatrices se révèlent plus efficaces que des analyses d’eau.
Ensuite, pour optimiser la réussite d’une reproduction assistée, on doit observer dans le milieu naturel une croissance des populations plutôt bonne mais avec un succès reproducteur relativement moyen. A cela s’ajoute un milieu assez pollué et des zones de reproduction de l’espèce peu favorables. Sans ces conditions, il nous aurait été difficile de réussir ces repeuplements de population.
- Quels sont vos résultats et effectuez-vous des suivis ?
Pour évaluer les résultats, nous réalisons des suivis de populations incluant des suivis d’individus marqués (par ajout d’un point de couleur sur les écailles ou par une entaille sur l’une de leurs nageoires).
Les résultats sont globalement très satisfaisants même si nous observons des disparités en fonction des cours d’eau. Les suivis d’individus marqués montrent que jusqu’à 80 à 90% des individus de truite âgés de 6 mois que nous observons proviennent de la pisciculture. Nous avons également remarqué que ces résultats sont bien meilleurs en présence de substrats cristallins qu’avec des substrats sédimentaires.
Du fait des très bons résultats de la méthode, les suivis par marquage sont actuellement moins fréquents et se font sur moins de secteurs. Désormais, nous surveillons les effectifs des populations de truite en même que d’autres suivis réalisés sur l’ensemble des cours d’eau et pour toutes les espèces de poissons présentes. Nous réalisons un suivi global constitué d’environ une centaine de points par an et sur tous les cours d’eau de notre département.
- Vous réalisez cette opération depuis 1992. Y a-t-il eu des évolutions depuis ?
Oui tout à fait. Au départ, un travail a été réalisé sur la méthode jusqu’à ce que nous obtenions des résultats satisfaisants. Différents paramètres ont été testés comme par exemple ceux du protocole d’élevage en pisciculture, des conditions de nourrissage, des zones de relâché, des conditions de mise à l’eau, etc. Par exemple, nous avons constaté que pour que l’opération soit efficace, il faut que les conditions du milieu de relâché soient relativement similaires à celles du milieu d’élevage (température, turbidité, etc.).
Aujourd’hui les effectifs de Truite commune sont bien plus importants que lorsque nous ne réalisions pas ces interventions.
- Réalisez-vous d’autres actions en parallèle sur les milieux ?
Oui, nous agissons également sur l’habitat des poissons. Certains cours d’eau ont subi dans les années 1960 des curages ainsi que des recalibrages. Ces actions ont fortement dégradé les milieux et grâce au travail mené avec des syndicats de rivières, nous les restaurons pour recréer des conditions d’habitats favorables (reméandrage). Selon nous, ce travail reste fondamental car à l’avenir, il pourrait permettre à la population de se maintenir naturellement, sans notre intervention.
Nous accompagnons également certains arasements d’ouvrage, pouvant devenir des obstacles à la migration des poissons. Certains de ces travaux posent un réel problème en termes de continuité écologique des cours d’eau sur des secteurs salmonidés.
Enfin, nous participons à des réunions d’acteurs comme par exemple celles servant à l’élaboration des SAGE et SDAGE.
- Quel bilan faites-vous de cette action ?
Nous dressons un bilan très positif. C’est une action que nous réalisons et qui fonctionne très bien depuis bientôt 30 ans. Malgré tout, notre inquiétude persiste en raison du réchauffement climatique. Les températures des cours d’eau augmentent et cela impacte négativement les populations de truite, une espèce de poisson d’eau fraîche.
Notre souhait serait d’arrêter cette reproduction assistée dès que la reproduction naturelle sera assez efficace pour assurer la survie des populations. Cela n’est malheureusement pas encore le cas actuellement.
- La reproduction assistée peut-elle être appliquée à d’autres espèces ?
Oui, nous pouvons également utiliser la méthode de reproduction assistée sur d’autres espèces comme par exemple le brochet. Cette espèce, vivant en aval des cours d’eaux, souffre aussi de la disparition de ses zones de reproduction (prairie inondable, bras mort). L’idéal est de recréer les conditions écologiques d’habitat. Lorsque cela n’est pas faisable, il est possible de soutenir les effectifs de population en réintroduisant des juvéniles de brochets, en récurant les bras mort et en travaillant sur la reconquête des zones humides. Ces opérations obtiennent de bons résultats, comparables à ceux de la truite.
- Auriez-vous des conseils à donner à un autre organisme ?
Avant toute intervention, il est essentiel de bien expertiser le milieu afin d’analyser finement les problématiques. En cas de besoin, nous pouvons tout à fait envisager d’apporter une assistance ou un apport d’expertise à un organisme souhaitant mettre en place une opération similaire.
La Fédération de la Dordogne pour la Pêche et la Protection du Milieu Aquatique (F.D.A.A.P.P.M.A. 24) est une association type loi 1901, gérée par un conseil d’administration composé de 16 membres représentants les Associations de Pêche Agréées (A.A.P.P.M.A.) de la Dordogne. La FDAAPPMA 24 emploie une douzaine de salariés, répartis en un pôle technique et un pôle administratif, chargés de mener à bien la politique décidée par le conseil d’administration.
La Fédération de Pêche de la Dordogne possède des statuts validés par le ministère de l’écologie et est reconnue comme étant à caractère d’utilité publique et agréée au titre de la protection de la nature.
Pour aller plus loin :
Si vous le souhaitez, vous pouvez à votre tour faire connaître une ou des initiatives en téléchargeant la note explicative et en envoyant votre proposition via le formulaire en ligne. L’Agence étudiera les textes au regard de critères d’éligibilité et vous accompagnera dans leur finalisation.