Entretien avec Kevin Lelarge, Conservateur de la Réserve naturelle nationale du Pinail, également responsable de la gestion associative de l’association GEREPI
L’association GEREPI pratique sur le site de la Réserve naturelle du Pinail, entre autres, la gestion par brûlis dirigé. Ce mode de gestion est réalisé chaque année en rotation sur 10 hectares environ. Cela permet de conserver une lande « jeune » afin de la maintenir au stade de végétation à enjeu patrimonial. Tout au long du chantier, les pompiers sont dispersés sur le secteur pour contrôler l’opération. Ce type de chantier dure près d’une demi-journée et une surveillance est assurée jusqu’au lendemain. Cette technique est complémentaire aux autres pratiques existantes : le pâturage, la coupe manuelle suivie de l’export des rémanents, etc.
- Pourquoi avoir choisi d’utiliser cette pratique ?
Notre objectif est de favoriser les habitats et espèces patrimoniales sur le site de la réserve. Nous avons choisi le brûlis dirigé pour plusieurs raisons. Tout d’abord, cette méthode permet une mise à nu du sol que l’on ne retrouve pas avec les autres modes de gestion, mise à part ponctuellement avec le pâturage sur des zones de sur-piétinements. Cela permet d’engendrer des dynamiques de végétation qu’il n’y a pas avec les autres pratiques. En effet, après le passage du feu, nous avons pu observer le développement de tout un cortège d’espèces pionnières, comme par exemple la Pilulaire à globule (Pilularia globulifera) en berge de mare. D’autres espèces sont favorisées par le passage du feu, l’existence de certaines en est même directement dépendante. Ces espèces dites « pyrophiles » sont donc inféodées au passage du feu et ont co-évolué avec cet élément. Par exemple, la Daldinie des ajoncs (Daldinia caldariorum), un champignon, ne se développe que sur des tiges d’Ajoncs nains brûlées. Cette technique nous permet donc de conserver un ensemble d’espèces caractéristiques des landes.
Ensuite, il y a une configuration du site particulière en raison d’une forte densité de mares. Cela entraîne l’impossibilité de mécaniser l’entretien du site. La pratique du brûlage dirigé s’est donc naturellement imposée. Cette technique a donc été remise au goût du jour avec nos moyens technologiques et techniques actuels. Enfin, cette méthode présente un avantage économique puisqu’elle est dix à vingt fois moins chère que la coupe manuelle avec export.
- L’utilisation du feu est-elle récente et, est-ce une méthode couramment utilisée ?
C’est une pratique très ancienne. L’agriculture est née à l’époque Néolithique avec le brûlis : on a défriché de grands espaces et développé l’agriculture de cette manière depuis des milliers d’années. Cependant, depuis la mécanisation de nos pratiques, nous avons perdu ces connaissances et ces modes de gestion pour laisser place à la combustion d’énergie fossile. En général, les personnes ont aujourd’hui une perception très négative du feu.
Autrefois, un milieu était maintenu ouvert car il était intégré à l’agriculture et était utilisé pour faire paître les troupeaux. Dès que la végétation n’était plus suffisamment appétante, il fallait alors l’entretenir afin de renouveler le milieu car les jeunes pousses sont plus appréciées par les animaux. Pour cela, le plus simple était d’allumer un feu, non contrôlé à l’époque. Sur le site de la réserve, le dernier a eu lieu en 1991 et a brûlé l’intégralité du site. Cette pratique est désormais encadrée de façon exemplaire et nécessite une autorisation préfectorale.
- Comment réalisez-vous cette méthode ?
En premier lieu, tous les ans, nous devons obtenir une dérogation à l’arrêté préfectoral régissant l’utilisation du feu dans tout le département. Les chantiers sont ensuite encadrés par le Service Départemental d’Incendie et de Secours (SDIS) et par des spécialistes du brûlage dirigé du sud de la France. Au total, 40 à 50 pompiers se trouvent sur un chantier. Le personnel de la RNN participe également à ces opérations et interviennent en tant qu’ « allumeurs ». La méthode mise en œuvre est celle du « feu contre-feu ». Enfin un compte-rendu du déroulement des opérations est réalisé systématiquement et rendu à la préfecture.
- Pouvez-vous expliquer la technique du feu contre-feu et celle du pare-feu ?
Cette technique consiste à allumer en premier lieu un feu à l’opposé du vent (qui est donc contraint d’avancer à contre-vent) afin qu’il progresse le plus lentement possible. Cela permet de sécuriser la progression du feu. Tout au long de l’opération, les pompiers sont dispersés sur le pare-feu pour contrôler tout autre départ.
Le pare-feu est une bande de sécurité qui consiste à araser la végétation pour réaliser une coupure de combustible, afin de maintenir le feu dans le secteur. Le feu est dirigé à partir de ce pare-feu périmétrique, cette technique consiste donc à élaborer une zone de sécurité. En raison de la constitution du site de la RNN, tout est fait à la débrousailleuse. Cette bande fait donc l’intégralité du pourtour de la zone. Cela représente le secteur d’allumage autour duquel les pompiers vont se disperser pour pouvoir assurer qu’il n’y a aucun autre départ de feu.
Il y a ensuite deux équipes qui allument tout au long du pare-feu et, lorsque les deux équipes se rejoignent dans le vent, le feu parcourt l’intégralité de la parcelle en l’espace d’un quart d’heure. Le feu vient ensuite s’éteindre naturellement sur le contre-feu, allumé au début de l’opération. Le contre-feu ayant brûlé toute la végétation, il ne reste ni de matière combustible, ni d’oxygène pour le feu courant qui s’éteint donc rapidement.
Ce sont des techniques utilisées par les pompiers pour combattre les grands incendies de feu de forêts.
- Quelles sont les conditions nécessaires pour le bon déroulement d’une telle opération ?
Il faut avant tout réunir les bonnes conditions météorologiques. L’élément qui influence le plus le feu étant le vent, aucun chantier ne s’effectue lorsque la vitesse du vent est supérieure à 20km/h. D’autre part, s’il y a de fortes pluies, les engins ne pourront pas accéder au secteur et la végétation sera moins inflammable. Ce sont aussi des chantiers qui se réalisent en fonction de la disponibilité des pompiers. Cette année, en raison de la période de fortes chaleurs, beaucoup d’incendies se sont déclenchés dans le département ce qui n’a pas rendu possible la mobilisation des pompiers. Pour l’ensemble des moyens que ce mode de gestion nécessite et pour assurer un impact écologique favorable, nous ne réalisons pas plus de deux chantiers de brûlis dirigé par an.
- Quel est l’impact de cette technique sur les espèces ?
Les résultats indiquent que le nombre d’espèces patrimoniales augmente suite au passage du feu. En effet, suite à son passage, le feu créé une nouvelle dynamique puisqu’il permet aux espèces de coloniser un nouvel espace.
En ce qui concerne les espèces animales, nous avons plusieurs observations. Pour ce qui est des mares, les relevés thermiques réalisés dans les masses d’eau montrent que le passage d’un feu courant n’influence pas la température. Ainsi, toutes les espèces présentes dans les mares survivent au passage du feu. Les mesures faites dans les terriers et pierriers enregistrent une augmentation de la température mais qui est loin d’être létale pour les espèces. Enfin, les sondes implantées dans le sol montre que l’impact du feu courant est fort jusqu’à environ un centimètre de profondeur. En moyenne, l’élévation enregistrée à la suite du passage d’un feu courant est de 4 à 7 degrés Celsius. De plus, cette opération s’effectue sur de petites surfaces, en rotation, son impact sur les espèces reste donc relatif.
Afin d’éviter au maximum de toucher les espèces, chaque chantier se déroule après la saison de reproduction entre la mi-septembre et la mi-octobre. Cela dans le but de respecter le cycle de vie des espèces et de pouvoir bénéficier d’une portance des sols suffisantes pour accéder au site.
Des suivis sont réalisés après chaque chantier et les données sont enregistrées afin d’alimenter davantage la connaissance des impacts de ce mode de gestion et d’affiner son interprétation.
- Avez-vous rencontré des difficultés particulières ?
Oui, cela nécessite de réunir certains éléments organisationnels évoqués précédemment (autorisation préfectorale, conditions météorologiques, disponibilité du SDIS). Ensuite le contexte socio-économique local doit être favorable à cette pratique pour qu’elle soit mise en œuvre. Cela demande certaines précautions comme prévenir les habitants avoisinants, interdire le chantier au public, d’installer des panneaux explicatifs autour, etc.
- Réalisez-vous des actions de sensibilisation auprès des publics ?
Tout à fait. Nous souhaitons diffuser ce message de co-évolution entre la biodiversité et le feu. Il est important de se souvenir que la mécanisation n’est apparue que très récemment sur notre planète en comparaison de la durée d’existence du feu.
Cette pratique reste encore étonnante pour le public, puisque notre seul rapport avec le feu est désormais celui des incendies accidentels ou criminels. La plupart des gens ont une perception plutôt négative de cet élément en raison d’une perte des pratiques traditionnelles de la maîtrise du feu. Nous n’avons plus l’habitude de l’utiliser au quotidien bien qu’il ait été essentiel dans l’évolution de l’humanité comme pour se chauffer, se nourrir ou encore se repérer dans la nuit.
- Quelles sont vos satisfactions liées à cette pratique ?
La méthode permet d’atteindre un triple objectif. La technique du brûlis dirigé favorise le maintien en bon état de la biodiversité spécifique du Pinail. De plus, cela diminue la quantité de combustible et limite ainsi le risque d’incendie de feu de forêt dans le département. Enfin, dans un contexte de réchauffement climatique, les feus sont de plus en plus récurrents. Pourtant, les pompiers ne sont pas formés au combat réel du feu. Cette action participe donc dès aujourd’hui à la formation du personnel du SDIS au combat en condition réelle de feu de forêt.
- Avez-vous un message à faire passer ?
Cette méthode nécessite d’être utilisée à bon escient, en s’assurant d’un contexte socio-économique local favorable ainsi qu’un milieu et des espèces adaptés.
En revanche, il n’y a pas « un bon mode de gestion », mais plutôt une imbrication de modes de gestion afin de favoriser l’ensemble de la biodiversité. Chaque mode de gestion a des avantages et des inconvénients. Cette imbrication permet donc de créer un maximum de conditions favorables à un plus grand nombre d’espèces.
L’association de Gestion de la Réserve naturelle du Pinail, GEREPI, a été créée en 1987 afin d’instituer une gestion intégrée et participative de l’espace protégé, classé en 1980 par le Ministère, en réunissant les acteurs locaux dans une structure gestionnaire. Elle est ainsi composée de membres de droits, représentants de collectivités territoriales, structures publiques (ONF, Université de Poitiers, etc.) et privées dont les associations de protection de la nature qui l’administrent aujourd’hui (Vienne Nature, LPO, CPIE Seuil du Poitou, etc.).
L’équipe salariée est composée de 3 permanents (conservateur, chargé de missions scientifiques et agent d’entretien) en charge de déployer les 3 piliers de toute Réserve Naturelle de France : protéger, gérer et sensibiliser. Au-delà de la gestion de la Réserve du Pinail, GEREPI apporte également une expertise au service des projets et acteurs du territoire en matière de biodiversité, eau et climat.
Pour aller plus loin :
– Répertoire d’initiatives régionales et de retours d’expériences
– Fiche initiative de GEREPI
Si vous le souhaitez, vous pouvez à votre tour faire connaître une ou des initiatives en téléchargeant la note explicative et en envoyant votre proposition via le formulaire en ligne. L’Agence étudiera les textes au regard de critères d’éligibilité et vous accompagnera dans leur finalisation.